Contexte
La CIEI considère que la question de l’autonomie du Parlement[1] est déterminante en termes de renforcement parlementaire.
Il s’agit en réalité d’une question transversale car elle touche à tous les aspects de l’organisation et du fonctionnement du Parlement.
Les niveaux d’autonomie sont très différents entre les Parlements mais, de façon générale, l’autonomie peut être définie selon deux principes :
- Indépendance et non subordination (notamment budgétaire et administrative du Parlement à l’égard de l’exécutif) dans le respect du principe de la séparation des pouvoirs et,
- Possibilité de s’affranchir, au moins en partie selon les cas, des règles juridiques de droit commun pour obéir à des règles propres[2].
L’autonomie est tout d’abord « fonctionnelle » puisque le Parlement détermine librement son mode d’organisation et ses procédures, élit ses propres organes (bureau, commissions etc.) et surtout établit son règlement intérieur.
Concernant le congrès de la Nouvelle-Calédonie, la loi organique statutaire contient déjà un certain nombre de dispositions précises qui concernent le fonctionnement de l’institution et qui sont complétées soit par son règlement intérieur comme le prévoit actuellement l’article 98 de la loi organique statutaire, soit par des textes réglementaires autonomes.
L’autonomie « fonctionnelle » d’après l’analyse du règlement intérieur et les témoignages des élus semble être acquise. Néanmoins, les élus du congrès ne peuvent adopter leur règlement intérieur que dans le respect de l’article 98 de la loi organique[3], à savoir limiter sa portée aux modalités d’organisation et fonctionnement (congrès et commission permanente[4]) qui ne sont pas prévues par la loi organique statutaire, ce qui de facto constitue une limite importante à l’application du principe de la pleine autonomie du Parlement.
Dans le futur statut, si l’on souhaite œuvrer dans le sens d’un renforcement parlementaire, il serait possible d’indiquer seulement que le congrès établit dans le respect des prérogatives des autres institutions et des principes généraux de la loi organique statutaire son règlement intérieur.
L’autonomie du Parlement est également « administrative ». Autrement dit elle est caractérisée en général dans la plupart des parlements par une organisation interne des services qui leur est propre et par l’autorité sur un corps de fonctionnaires parlementaires spécifiquement recrutés directement par le Parlement ayant un statut spécial et distinct de la fonction publique[5] ; cela permet d’assurer l’indépendance absolue de ces fonctionnaires parlementaires par rapport à l’exécutif.
En Nouvelle-Calédonie, les fonctionnaires du congrès sont recrutés certes par celui-ci mais selon les procédures applicables à l’ensemble des institutions calédoniennes et ils sont surtout soumis à la réglementation en matière de fonction publique. Autrement dit, ils appartiennent à l’unique fonction publique existante sur le territoire mais placés sous l’autorité hiérarchique du Président du congrès. Dans ce système que l’on peut qualifier d’ « hybride », ces agents peuvent être affectés dans l’ensemble des institutions et faire des allers/retours entre elles et dans tous les cas (y compris pendant l’exercice de leurs fonctions au congrès) sont tributaires d’actes statutaires du président du gouvernement. Ainsi l’affectation d’un agent au congrès dépend d’une décision statutaire du président du gouvernement. L’affectation de ce même agent à emploi au sein de l’institution dépend du président du congrès. Une réflexion pourrait également être menée concernant les collaborateurs politiques.
En termes de renforcement parlementaire, la question clé pour la CIEI est toutefois celle de l’ « autonomie budgétaire » qui n’est que partielle puisque le Président du congrès est certes ordonnateur des dépenses de l’institution mais le congrès n’établit pas lui-même son budget.
Or la plupart des Parlements[6] élaborent leurs projets de budget sans intervention du gouvernement, librement et sans arbitrage du ministre des finances (niveau d’autonomie budgétaire réel) et celui-ci est inclus dans le projet de budget de l’Etat sans modifications.
Dans d’autres Parlements, l’intervention et l’arbitrage du ministre des finances en dernier ressort prime sur les propositions des autorités parlementaires (niveau d’autonomie réduit).
La question de l’autonomie budgétaire a été discutée plusieurs fois dans les entretiens avec les élus du congrès et au sein de la CIEI.
La difficulté principale évoquée pendant les échanges par certains élus du congrès semble tenir au fait que l’institution, à ce jour, n’a pas le pouvoir de voter une recette dédiée.
Néanmoins la CIEI a pris note que l’article 84, 2ème alinéa de la loi organique statutaire n°99-209 du 19 mars 1999 permet déjà de voter des budgets annexes[7].
La CIEI considère qu’un véritable renforcement parlementaire passe par une autonomie budgétaire complète du congrès à savoir :
- L’élaboration de son propre budget distinct sans intervention du gouvernement mais en veillant à ce que celui-ci soit en rapport avec le budget général de la Nouvelle-Calédonie et ses orientations (à minima, un élu propose que le congrès puisse avoir en son sein son propre débat d’orientations budgétaires sans l’intervention du gouvernement) ;
- Une intégration « en l’état » au budget de la Nouvelle-Calédonie ;
- Un suivi et un contrôle des dépenses interne à l’institution par les élus (par exemple par une commission du contrôle budgétaire – proposée par un élu du congrès pendant les échanges – qui pourrait se réunir à des échéances régulières – ce type de commission est en général présidée dans la plupart des Parlements par un élu de l’opposition).
[1] Pour formuler ses propositions la CIEI a pris comme référence les critères de l’Union interparlementaire et a procédé préalablement à une comparaison par rapport aux informations venant de l’administration du congrès, le contenu de la loi organique statutaire et du règlement intérieur et les témoignages/ressentis des élus du congrès dans les réponses au questionnaire de la CIEI et pendant les visioconférences.
[2] Dans certains cas l’autonomie peut être très poussée. Ainsi par exemple en Italie cas évoqué par le Président Enrico Letta mais également cité comme un cas extrême dans les publications de l’UIP ou du Conseil de l’Europe, l’« autodichia » du Parlement désigne la prérogative des deux chambres de trancher via un organe juridictionnel interne, les différends avec ses salariés. Cette même prérogative existe toutefois aussi dans d’autres Parlements.
[3] « Les modalités d’organisation et de fonctionnement du congrès et de la commission permanente, qui ne sont pas prévues par la présente loi, sont fixées par le règlement intérieur du congrès. Ce règlement peut être déféré au tribunal administratif. Il est publié au Journal officiel de la Nouvelle-Calédonie ».
[4] La commission permanente, en quelque sorte un « mini-congrès », est composée de 11 membres et ne peut siéger qu’en dehors des sessions ordinaires (administrative et budgétaire) et sur habilitation du congrès. Ainsi, à chaque clôture de session, une délibération en ce sens est proposée à l’examen des élus. Seules les lois du pays et les délibérations budgétaires sont exclues de cette habilitation.
[5] Cf. Union Interparlementaire (UIP) – « Etude comparative sur l’administration parlementaire », Génève, 2020.
[6] Environ les 2/3 des Parlements selon la base UIP Parline : https://data.ipu.org/fr
[7] « Le congrès vote le budget et approuve les comptes de la Nouvelle-Calédonie. Le budget de la Nouvelle-Calédonie prévoit et autorise les recettes et les dépenses de la Nouvelle-Calédonie pour la période allant du 1er janvier au 31 décembre de chaque année.
Il comprend une section de fonctionnement et une section d’investissement, tant en recettes qu’en dépenses. Certaines interventions et activités ou certains services sont individualisés au sein de budgets annexes. Ces budgets annexes sont votés en équilibre réel (…) ».
Proposition(s)de la CIEI
Proposition 1 – Catégorie 1, 2 ou 3
Afin de renforcer l’institution et son autonomie fonctionnelle, administrative et budgétaire, la CIEI recommande :
- Que le congrès puisse à l’avenir avoir toute latitude dans l’établissement de son règlement intérieur dans le respect des prérogatives des autres institutions et des principes généraux de la loi organique statutaire (autonomie fonctionnelle) ;
- Que le congrès puisse disposer de moyens matériels et humains appropriés et de fonctionnaires directement recrutés par l’institution, sans aucun lien avec l’exécutif, disposant d’un statut particulier par rapport à la fonction publique ; cela vaut notamment pour ceux spécialement dédiés aux travaux parlementaires et à l’établissement et au contrôle de son budget (autonomie administrative) ; une réflexion pourrait également être menée concernant les collaborateurs politiques.
- Que le congrès puisse disposer de son propre budget distinct établi sans intervention du gouvernement puis intégré « en l’état » au budget général de la Nouvelle-Calédonie (autonomie budgétaire réelle).
La CIEI recommande que sur les trois points évoqués ci-dessus, à savoir l’autonomie fonctionnelle, administrative et budgétaire réelle du congrès, le Comité Technique puisse procéder à un bilan de l’existant et formuler des préconisations à l’attention de la CIEI en se fondant sur le fonctionnement d’autres assemblées parlementaires. A cet effet, il serait utile de procéder à une comparaison du fonctionnement et des pratiques parlementaires des Parlements de tradition « d’Europe continentale » avec celles d’autres assemblées parlementaires « de type Westminster », par exemple celles des pays insulaires du Pacifique. Le Comité Technique, lors de ces analyses et comparaisons, il devrait donc pouvoir s’entretenir avec et s’appuyer efficacement également sur des administrateurs des assemblées de la région Pacifique et/ou des chercheurs issus de cette même région.