Contexte
Lors de l’analyse des réponses au questionnaire par les élus ainsi que dans les échanges qui ont eu lieu par visioconférence pendant la crise sanitaire, ce thème a été évoqué de façon récurrente.
La CIEI a constaté d’une part que plusieurs élus regrettent les temps législatifs contraints qu’on leur impose pour l’analyse des textes proposés par le gouvernement, pour la discussion en commission puis en séance publique. Aussi la proportion des sessions ordinaires et extraordinaires du congrès est à ce jour inversée et la répartition entre « semaines de travail province » et « semaines de travail congrès » et parfois leur chevauchement aggravent ultérieurement cette perception. De même, certains considèrent que les propositions ont un caractère technique très poussé et que le jargon utilisé est en conséquence souvent difficile à comprendre notamment pour des élus dont le français n’est pas la langue maternelle[1].
La Nouvelle-Calédonie utilise notamment pour la rédaction des textes législatifs et règlementaires la légistique et les recommandations du « Guide pour l’élaboration des textes législatifs et règlementaires » élaboré conjointement par les membres du Conseil d’Etat et le Secrétariat Général du Gouvernement français.
Ce type de guide n’est pas toutefois une spécificité française puisqu’il existe, sous des formes différentes, également dans de nombreux pays y compris de la région pacifique[2].
La CIEI constate qu’en Nouvelle-Calédonie il ne semble pas exister une obligation d’utilisation de cette technique même si l’objectif affiché du Guide de « ne faire que des textes nécessaires, bien conçus, clairement écrits et juridiquement solides »[3] est partagé par l’ensemble de ses membres.
De même, la CIEI entend la préoccupation exprimée par les élus du congrès que la complexification de la loi est un terrain propice à la défiance des citoyens qui réclament des textes intelligibles et conçoit la simplicité dans le sens d’une meilleure compréhension des règles fixées par le législateur et dont les citoyens sont destinataires.
Ainsi la CIEI, afin d’assurer la promotion de lois d’une plus grande qualité[4], propose la création d’un comité composé d’experts/juristes indépendants qui pourrait s’assurer préalablement au dépôt d’un texte d’origine gouvernementale ou parlementaire de sa qualité.
Ce type de comité existe, mutatis mutandis, tant au niveau de l’Union européenne que d’autres pays.
L’Union européenne a entériné une démarche en ce sens depuis 2003 avec la signature d’un accord interinstitutionnel intitulé « Mieux légiférer »[5] par lequel les institutions s’engagent à veiller « à la qualité de la législation, à savoir à sa clarté, à sa simplicité et à son efficacité ». Un nouvel accord interinstitutionnel a été adopté par le Conseil le 15 mars 2016[6] et a revu et complété le précédent en le remplaçant.
Elle a aussi mis en place un comité d’examen de la réglementation qui est un organisme indépendant au sein de la Commission européenne qui conseille le collège des commissaires[7].
Ce type de comité peut être aussi composé, dans certains pays, par des élus et être internalisé dans le Parlement[8].
La qualité de la législation étant un objectif poursuivi par la plupart des pays, dans la région pacifique il existe également des comités similaires. On peut citer par exemple la « Legislation Design & Advisory Committee – LDAC – » en Nouvelle-Zélande[9] dont les membres sont nommés par le Procureur General « Attorney-General ».
La CIEI estime aussi que le Comité Technique d’experts pourrait également procéder, dans le cadre de la mission qui lui a été confiée, à un bilan de la production législative et règlementaire du congrès par exemple depuis 2014 (quatrième et cinquième mandature en cours) et formuler à son tour des préconisations d’ordre technique pour atteindre l’objectif d’une législation de qualité.
Le Comité Technique pourra toutefois prendre en considération également et autant que nécessaire tout élément issu du minutieux travail de reconstitution des travaux de l’institution depuis l’entrée en vigueur de l’Accord de Nouméa du 5 mai 1998 entrepris par l’administration du congrès sous l’impulsion du Président du congrès et de son Secrétaire Général.
[1] En Nouvelle-Calédonie il existe environ 28 langues parlées en plus de la langue véhiculaire officielle qui est le français.
[2] Pour donner un exemple dans la région pacifique, en Nouvelle-Zélande on peut citer les « Legislation Guidelines » de la « Legislation Design & Advisory Committee – LDAC – ». Pour aller plus loin : http://www.ldac.org.nz/guidelines/
[3] Cf. Avant-propos « La qualité de la loi », Sénat, étude juridique, septembre 2007.
[4] Plusieurs ouvrages et articles de doctrine existent sur ce thème. Pour une étude comparée franco-suisse : Alexandre Flückiger, « Le principe de clarté de la loi ou l’ambiguïté d’un idéal », Cahiers du Conseil Constitutionnel n°21 Dossier : la normativité – Janvier 2007. L’auteur défend « la thèse selon laquelle l’objectif de clarté [parfois assimilé à celui de qualité] est un idéal ambigu. La clarté peut être en effet comprise sous un aspect linguistique de lisibilité et de concision (…) mais elle peut également être reçue sous un angle plus juridique : celui de la concrétisabilité, mettant l’accent sur la précision de l’énoncé : est clair, dans cette seconde acception, un texte qui fournit à son interprète, aussitôt en sans controverse, la solution précise dans un cas concret. Également pour l’analyse du cas français : Ludovic Benezech, « L’exigence d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi : retour sur vingt ans d’existence », Revue française de droit constitutionnel, 2020/3 n°123 pp 541 à 563.
[5] Pour une présentation de cet accord se référer à l’article de Basile Ridard, enseignant en droit public à l’Université de Poitiers Dordogne : Basile Ridard, « L’accord interinstitutionnel « Mieux légiférer » et le processus législatif. Analyse comparée – droit de l’Union européenne – droit interne. », Hyper Article en Ligne – Sciences de l’Homme et de la Société, ID : 10670/1.mcpkrv
[6] https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/better-regulation/
[7] https://ec.europa.eu/info/law/law-making-process/regulatory-scrutiny-board_fr
[8] Le Président de la CIEI Hon. Enrico Letta cite l’exemple de son pays d’origine, l’Italie, où ce comité est un organe de la Chambre des Députés et il a été institué lors de la réforme du règlement intérieur de 1997. Il est composé à ce jour par 10 députés dont 5 de la majorité et 5 de l’opposition désignés par le Président de l’assemblée. La Présidence de ce comité est tournante.
Proposition(s)de la CIEI
Proposition 2 – Catégorie 1, 2 ou 3
La CIEI a pris note du souhait des élus du congrès de disposer de plus de temps pour légiférer et considère importante la relation entre le temps et la qualité de la législation. Le temps du débat parlementaire constitue une composante essentielle du processus législatif et l’adoption de textes dans une urgence quasi permanente doit être évitée autant que possible.
La CIEI recommande la création d’un comité chargé de la qualité de la législation qui pourrait intervenir en amont (sous une forme qui reste à définir).
Ce comité pourrait être composé d’experts/juristes indépendants et d’administrateurs issus du gouvernement et/ou du congrès.
Les membres de ce comité pourraient être proposés par le gouvernement, auditionnés par le congrès puis après un vote à la majorité des membres présents ou représentés, être nommés par le Président du congrès. Ou le congrès pourrait directement sans intervention du gouvernement, réceptionner les candidatures puis procéder à des auditions avant de retenir après un vote à la majorité des membres présents ou représentés les candidats qu’il considère les plus appropriés par rapport à des critères définis et rendus publics au préalable par l’avis d’appel à candidatures.
Ce comité serait chargé de s’assurer, préalablement au dépôt d’un texte gouvernemental ou parlementaire, de sa qualité.
La CIEI recommande que le Comité Technique puisse d’une part évaluer la possibilité que l’administration dispose de son propre code de rédaction de texte et d’autre part proposer des procédures et/ou des dispositifs (ne nécessitant pas une modification de la loi organique statutaire) ; ces propositions pourraient être intégrées dans le règlement intérieur du congrès ou dans des accords interinstitutionnels comme c’est le cas entre les institutions européennes) permettant d’optimiser la phase parlementaire du processus législatif et/ou budgétaire.
La CIEI constate, d’après les statistiques fournies par le congrès et les remarques des élus dans leurs réponses au questionnaire que la proportion des sessions ordinaires et extraordinaires du congrès est à ce jour inversée. De même la répartition entre « semaines de travail province » et « semaines de travail congrès » et parfois leur chevauchement semble aggraver chez les élus la perception que les temps législatifs soient trop contraints.
Convaincue que la relation entre le temps et la qualité de la législation demeure fondamentale, afin de permettre aux élus d’assurer pleinement leur fonction de législateur et au débat parlementaire de se dérouler dans des meilleures conditions au lieu que dans l’urgence récurrente, la CIEI propose que la durée actuelle des sessions ordinaires soit allongée.
De même, la CIEI considère que les parlementaires pourraient nettement contribuer à l’amélioration de la qualité de la législation s’ils disposaient d’un seul mandat exclusif (cf. proposition n°8 sur l’exclusivité du mandat des membres du congrès).